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Accueil des personnes en demande d’asile et soins en santé mentale; l’exemple du RIVO, un milieu qui allie savoir-être, proactivité et créativité

Édition 19.1.6

Édition 19.1.6

Accueil des personnes en demande d’asile et soins en santé mentale

l’exemple du RIVO, un milieu qui allie savoir-être, proactivité et créativité 

Le RIVO (Réseau d’Intervention auprès des victimes de violence organisée) s’efforce, depuis plus de 40 ans, à renouveler ses pratiques, questionner ses approches et saisir l’ampleur des besoins en santé mentale des personnes migrantes à statuts précaires. Au sein de cette OBNL, la psychothérapie s’allie à différents milieux de collaborations et tente de se faire connaître auprès du milieu de la santé. Cet article est une introduction aux défis rencontrés dans la pratique auprès des demandeurs d’asile, plus spécifiquement du point de vue des enjeux présents au plan systémique, organisationnel et individuel. Enfin, des pistes de réflexions et recommandations adressant ceux-ci sont proposés.  

Problématique 

L’état du monde en changements amène une augmentation sans précédent de personnes déplacées (UNHCR, 2025); plusieurs de celles-ci n’ont d’autres choix que de s’exiler et demander l’asile pour survivre. La demande croissante pour des soins adaptés en santé mentale met en lumière un phénomène complexe; la situation de précarité grandissante des migrants à statuts précaires. La réponse aux besoins de cette population est complexe; elle s’articule à travers plusieurs axes, dont un effort de soutien à rétablir le sentiment de sécurité externe et interne. C’est à ce niveau qu’intervient le RIVO (réseau d’intervention pour les victimes de violence organisée1) en offrant aux demandeurs d’asile un suivi en psychothérapie et d’autres discutés ci-après. Bien que la plupart des migrants à statut précaire ne développent pas un trouble de santé mentale persistant, les personnes ayant subi de la violence dans leur pays d’origine et à travers leur parcours migratoire sont plus à risque d’en développer, étant donné l’exposition à des événements dangereux pour leur vie ou leur dignité (Kronick, 2018). Le contexte socio-politique actuel fragilise ces personnes, qui font face à des procédures complexes pour arriver à retrouver la sécurité et celle de leurs proches. Leur parcours s’accompagne de deuils et de pertes, qui n’ont souvent pas le temps d’être vécus et accentuent la vulnérabilité psychologique (Robertshaw et al., 2017). 

Les demandeurs (ses) d’asile sont exposés à des facteurs de risque en santé mentale : l’exposition à la violence, à la guerre, à la persécution, la perte, le déracinement, l’isolement social, les barrières linguistiques, la discrimination, les incertitudes administratives et la précarité s’additionnent à des parcours migratoires souvent périlleux. La lourdeur administrative du système législatif engendre fréquemment un sentiment de découragement et augmente la détresse de façon significative (CERDA, 2024). À titre d’exemple, de nombreux professionnels du réseau ne sont pas inscrits comme fournisseurs de services au Medavie Croix Bleue, compagnie d’assurance qui rembourse les soins du PFSI. Une méconnaissance de l’accès à cette couverture est fréquemment présente dans le réseau. Par ailleurs, certains professionnels peuvent être réticents à soigner cette clientèle, en raison d’un manque de connaissance et de la perception de la lourdeur de leur problématique. Par ailleurs, la recherche énonce que les réfugiés ont tendance à sous-utiliser les ressources en santé mentale (Levesque et Rocque 2015; Guruge et al. 2015; Benoit et al. 2020; Nadeau et al. 2020; Laliberté et al. 2021; Gyan et al. 2023, dans CERDA, 2024) en raison de plusieurs facteurs, notamment la méconnaissance du système, la méfiance, les barrières d’accessibilité et de langues, ainsi que les enjeux psychosociaux prioritaires. 

Le RIVO 

Depuis 1983, le réseau d’intervention pour les victimes de violence organisée offre des services en santé mentale à des personnes, familles et couples ayant des séquelles psychologiques liées à un passé traumatique de violence organisée et aux parcours migratoires complexes. À titre d’exemple, pour l’année 2023-2024, le RIVO a offert 1569 heures de psychothérapie, 4 groupes de soutien inspirés de l’approche narrative, 3 groupes axés sur le soutien par les arts et 96 d’heures de massothérapie. Un soutien psychosocial est aussi offert lors de l’entrevue initiale et de façon ponctuelle au besoin. Les références à RIVO proviennent de plusieurs milieux, notamment du PRAIDA (Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs (ses) d’asile), du réseau de la santé et des services sociaux, du milieu hospitalier. Celles-ci sont transmises avec une prescription médicale pour la psychothérapie, qui peut être renouvelable. Le RIVO dessert une clientèle de la région de Montréal et d’autres régions, offrant parfois des suivis virtuels au besoin. 

Les diagnostiques les plus fréquents rencontrés par les psychothérapeutes à RIVO sont : stress post-traumatique, anxiété, dépression, troubles d’adaptation.  L’expression différente des symptômes et les facteurs psychosociaux (méconnaissance du système, méfiance, difficultés linguistiques) nécessitent une réponse adaptée à plusieurs niveaux : individuelle, sociale et culturelle. La recherche stipule cependant que le rétablissement est possible dans la plupart des cas (CERDA, 2024). Ainsi, cela amène les cliniciens (nes) à se poser la question suivante; qu’est-ce qui stimule la résilience des personnes demandeuses d’asile, et quels sont les facteurs de protection qui agissent pour leur bien-être? 

Comme ces personnes sont aussi porteuses de ressources, de forces et de capacités propres à leur histoire, il est pertinent de se demander comment actualiser ces attributs. Ceux-ci sont malheureusement souvent mis à l’épreuve quand la stigmatisation et la discrimination mettent en péril le rétablissement. Étant vulnérable à vivre des injustices liées à leur statut précaire, une personne demandeuse d’asile est plus à risque de vivre une détresse significative. Dans cette idée que certains groupes se trouvent marginalisés par des barrières linguistiques, expressives et peuvent faire face à un décalage d’intelligibilité avec le clinicien, il est d’autant plus important de porter attention à d’autres vecteurs d’expression (langage corporel, expression, symboles, trame narrative, expressions utilisées). 

Pratiques cliniques adaptées et approches innovantes

Tel que mentionné ci haut, la prise en charge de la santé mentale des demandeurs (ses) d’asile doit s’articuler à plusieurs niveaux; la réponse aux besoins de base et un ancrage sécuritaire semblent préalables à la psychothérapie. La limitation des stresseurs, de même que du risque de discrimination, semblent cruciaux dans le rétablissement du bien-être psychologique de ceux-ci. Par ailleurs certains outils apparaissent essentiels dans l’espace thérapeutique; l’utilisation d’interprètes, la médiation culturelle et le travail en réseau (partenariats avec autres organismes, ressources complémentaires) doivent être considérés.  

Certaines approches thérapeutiques seraient à privilégier dans le travail avec les victimes de violence organisée; une approche sensible aux traumatismes, intégrant des composantes somatiques et visant à recréer un sentiment de sécurité serait, entre autres, pertinente (CERDA, 2023). Les problématiques physiques qui accompagnent souvent les symptômes de santé mentale, demandent l’implication de plusieurs acteurs (médecins, infirmières, pharmaciens, travailleurs sociaux, IPS). Prendre le temps est une des clés d’une approche gagnante. Une approche concertée, multidisciplinaire, apparait souvent pertinente.  

Le RIVO se donne le mandat d’offrir de la formation continue aux professionnels, sur la réalité des migrants (es) à statuts précaires et la violence organisée. Par des demandes via le site web de RIVO, les institutions du réseau de la santé, le milieu scolaire et les organismes communautaires sont invités à partager leurs besoins de formation et d’accompagnement de leurs équipes d’intervenants.  Des efforts de réseautage à un réseau pancanadien de défense de droits font aussi parties des actions prioritaires de l’organisme. Une collaboration avec des organisations de lutte contre la torture et avec des ONG outre-mer constitue un axe de travail à RIVO. Par ailleurs, lors de situations cliniques complexes concernant la santé mentale d’une personne ou famille en demande d’asile., des co-développements sont proposés et visent des échanges entre cliniciens et intervenants impliqués. Ces activités permettent de dégager des pistes d’intervention pertinentes dans la situation. Les demandes de co-développements sont reçues à travers le site web. 

Enjeux actuels et recommandations

Les mouvances politiques mondiales ont un impact grandissant sur la santé mentale des personnes déplacées; au niveau régional, la demande croissante pour des services adaptés et culturellement sensibles demandent une remise en question des pratiques établies; les services offerts aux personnes migrantes à statuts précaires doivent être repensés, mais des obstacles persistent au niveau du financement, de l’organisation et de l’administration globale des programmes leur étant disponibles.  

Dans cette perspective, il semble primordial de collaborer ensemble au mieux-être de cette population et de s’unir afin de soutenir leurs voix. Les soins de proximité concertés représentent une valeur ajoutée aux efforts de mobilisation pour un meilleur accès aux soins. Nous croyons que cela passe par une remise en question des pratiques cliniques, puisque celles-ci peuvent être inconsciemment biaisées par les modèles ethnocentristes de la santé mentale. Ainsi, pouvoir tolérer l’altérité et prendre le temps d’explorer les conceptions de la personne soignée nous apparaît essentiel pour tendre vers une sécurisation culturelle (CERDA, 2024).  

Dans un monde ou l’image des exilés est trop souvent ternie, il importe de promouvoir un message de solidarité, d’entraide et de tolérance, au sein même de nos institutions et milieux de soins. Il est possible d’apprendre de la résilience qui se dégage des personnes réfugiées; en tant que professionnel de la santé, les aider à s’enraciner de nouveau en revient notre devoir 

Références

Centre d’expertise sur le bien-être et l’état de santé physique des réfugiés et des demandeurs d’asile (CERDA) CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal - Version finale – Janvier 2024 

Guide de la Croix Rouge et de Croissant Rouge, La Fédération Internationale des Sociétés de la Croix Rouge et de Croissant Rouge, Genève, Suisse, 1995. 

Cledon, R. (2011). Les effets de la violence organisée sur le processus d'intégration des réfugiés: le cas des Colombiens au Québec. 

CERDA (2023). Guide de sensibilisation : Intervenir auprès des personnes réfugiées; une approche sensible aux traumatismes, https://cerda.info/bien-etre-et-sante-mentale-des-personnes-refugiees/ 

Kronick, R. (2018). « Mental Health of Refugees and Asylum Seekers : Assessment and Intervention », The Canadian Journal of Psychiatry, vol.63, n°5, pp.290-296. 

Robertshaw, L., Dhesi, S., & Jones, L. L. (2017). Challenges and facilitators for health professionals providing primary healthcare for refugees and asylum seekers in high-income countries : a systematic review and thematic synthesis of qualitative research. BMJ open, 7(8), e015981. 

UNHCR (2025). Global Trend Report, https://www.unhcr.org/global-trends 

Auteure

Stéphanie Verdon M.Sc., Thérapeute conjugale et familiale, psychothérapeute, RIVO, Réseau d’intervention pour les victimes de violence organisée

Citation (APA)

Verdon, S. (2025). Accueil des personnes en demande d’asile et soins en santé mentale. Revue de l’infirmière praticienne spécialisée du Québec, 19(1), 32-35. Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ).